Pour les soldats la correspondance était capitale car c’est ce fil ténu qui les reliaient avec l’arrière et les leurs. Elle leur permettait, le temps d’une missive ou d’une carte-postale, de s’évader des tranchées.
Le soldat dont il est question ici parlait sans doute peu, pour ne pas dire pas du tout, de ce qu’il vivait. Comme beaucoup d’autres il dissimulait ses peurs et ses souffrances afin de ne pas ajouter à l’angoisse de ceux qui l’attendent au pays. De plus il y avait la censure de l’armée qui ne désirait pas qu’à l’arrière on en sache trop.
Ces lettres se résument donc le plus souvent à des mots simples écrits à la hâte au cours d’un moment de répit car il ne faut pas manquer le passage du vaguemestre.
Alors on griffonne quelques mots au crayon afin de rassurer les parents, la famille et aussi les remercier pour leur colis. Quand on le peut et, qu’on en a, on donne aussi des nouvelles des « pays » qui servent dans le même régiment ou dans un régiment voisin.
De toutes manières, à moins d’avoir la chance de trouver de quoi écrire, il n’y a pas beaucoup de place pour en dire plus sur ce petit bout de papier couleur lilas, un modèle type de la correspondance des armées de la République pour les troupes en opérations.
Quelques mots qui ne revêtent aucune importance historique mais ils sont, humainement, attachants.
(Les termes entre parenthèses et/ou en italique sont ceux du soldat)
Le 27 juillet 1915
Le 104e RI auquel appartient ce soldat se trouve à Auberive dans la Marne. Lui est toujours dans les tranchées de 1ère ligne mais à la veille de la relève tant attendue. Demain il sera au repos non pas à Mourmelon comme les soldats semblent l’espérer, mais dans les tranchées de seconde ligne qui se trouvent dans un petit bois en arrière.
Il nous apprend qu’il fait chaud en cette fin juillet 1915 et il demande à ses parents de ne plus lui envoyer de paté de viande car les colis se perdent et il doit jeter la précieuse denrée qui aurait amélioré son ordinaire et sans doute aussi celui de ses compagnons d’escouade.
Le 26 septembre 1915
Les hommes du 104e RI sont dans un secteur du côté de Suippes. Il donne des nouvelles des autres garçons du village et il s’inquiète de ne plus en avoir du fils Leroy et [..il aime à croire qu’il est toujours bien portant..]
Mots pudiques qui veulent dire : « J’espère qu’il est encore en vie ».
Quant à Lucien Rebot et un autre compagnon du village – dont je n’ai pas pu déchiffrer le nom – ils vont bien. Eh bien voilà au moins deux familles que ses parents pourront rassurer si d’aventure elles n’avaient plus eu de nouvelles.
Le 28 septembre 1915
Depuis quelques jours il y a des problèmes avec le courrier. Notre soldat écrit qu’ un compagnon d’escouade qui, comme lui, écrit aux siens tous les jours, lui a dit qu’ils ne recevaient plus rien du front.
[..Il doit y avoir des raisons sérieuses à tout cela..] (1)
Et il ajoute que maintenant il ne devront plus s’inquiéter s’ils ne reçoivent plus de nouvelles quotidiennes.
Le soldat termine sa lettre ainsi : Les boches nous laissent assez tranquilles ; pas autant qu’au début mais cependant bien plus que nous ne l’aurions fait à leur place.
2 octobre 1915
Sa compagnie se déplace beaucoup. Là-bas les parents doivent avoir eu vent de l’offensive mais le fils les rassure, il va toujours [.. très très bien].
Il les tranquillise [..Je ne suis pas aussi exposé comme vous avez l’air de le croire surtout aujourd’hui. Hier soir le régiment est venu prendre un jour de repos..]
Et à nouveau il donne des nouvelles d’un « pays ». Almire qu’il avait déjà vu la veille et qui a meilleure mine que lorsqu’il l’avait vu à Perthes. Les parents pourront rassurer sa famille.
Il demande aussi des nouvelles du village de St Germain-de-Coulamer dont il est originaire. Là-bas ils doivent bien s’inquiéter de ne plus avoir de nouvelles du front mais le soldat rassure, bientôt le courrier sera débloqué.
Le lendemain 3 octobre, nouvelle missive. Cette fois pour annoncer qu’il a enfin des nouvelles de Lucien et Gustave Leroy (deux frères ?). Gustave est blessé mais légèrement. Il est soigné à Olivet près de Orléans. Quant à Lucien il dit simplement qu’il est un peu fatigué mais il ne se plaint pas.
Une fois encore il rassure ses parents et sa soeur très inquiets sûrement des échos qui leur sont parvenus de la bataille.
[…Ici ça va toujours très bien, surtout tranquillisez-vous ce n’est pas si terrible que vous le croyez. Je n’ai prit part à aucune attaque..]
10 novembre 1915
Le régiment se trouve toujours dans la Marne mais cette fois il est à Chaudefontaine près de St Menehould. Apparemment tout est calme. Le soldat semble particulièrement choyé par ses parents qui lui envoie de nombreux colis et surtout, un fortifiant appelé Musculosine.
[…Je vous remercie beaucoup de toutes les bonnes choses que vous m’offrez mais je vous assure que je n’en ai aucunement besoin. Adressez-moi un colis si vous le voulez mais ne mettez pas de musculosine, ni de biscuits…Maintenant je n’ai guère besoin de fortifiant car le travail que j’ai à faire ne me tue pas…]
Le 21 novembre (c’est la dernière lettre en ma possession),
Sa compagnie est de retour aux tranchées.
Je viens de recevoir à l’instant votre lettre du 16 courant, je vous réponds vite la vaguemesgtre doit passer de nouveau vers midi. La compagnie est aux tranchées depuis hier soir, mais là encore je ne suis pas mal dans l’abri où je loge avec la liaison du lieutenant, on peut faire du feu et vous pouvez croire qu’on en use et même en abuse. Je ne sais pas comment je vais être nourri cette fois. Je vais tâcher de me débrouiller pour ne pas manger à l’ordinaire et continuer à faire popote avec l’adjudant et Hozon, mais ce ne sera peut-être pas facile, d’ailleurs cela n’a guère d’importance.
Il s’appelait
Fulbert, Pierre, Joseph BEDOUET
Sergent au 104e R.I. – né le 2 novembre 1894 à St Germain-de-Coulamer (Mayenne). Il a été tué à Douaumont en novembre 1916 au lendemain de son 22ème anniversaire.
Il était le fils du boulanger du village de St Germain-de-Coulamer.
Sa mort ayant fait l’objet d’un jugement déclaratif en date du 25 mai 1921, son corps n’a sans doute jamais été retrouvé. Il faisait vraisemblablement partie des 4 disparus au cours de la journée du 3 novembre. Ce jour-là le régiment eut à subir l’intense activité de l’artillerie ennemie.
Il y eut 56 tués parmi les hommes de troupes, 69 blessés et parmi les officiers, 3 tués – Capitaine Saint Sans (9e), Capitaine Poivrier (11e), sous-Lieutenant Richard(11e) et 3 blessés – Capitaine Trollet, Lieutenant Bréchu, Lieutenant Durand.
Quant au jeune Almire dont il parle dans sa lettre du 2 octobre 1915, il s’agit peut-être de Almire BARBIER tué le 23 mars 1918 au Bois de Frière dans l’Aisne. C’est en tout cas ce nom qui figure sur le monument aux morts du village de St Germain-de-Coulamer.
Lucien et Gustave LEROY sont peut-être, il faut l’espérer, sortis sains et sauf de cette guerre.
(1) La raison sérieuse évoquée ici est le début de l’offensive de la seconde bataille de Champagne lancée le 25 septembre 1915 et qui avait pour but de rompre la ligne de front allemande depuis Auberive jusqu’à Ville-sur-Tourbe. Ce fut un échec complet. A la date du 29 septembre, date à laquelle l’attaque fut arrêtée, on comptait plus de 120000 hommes hors de combat.