Il m’est enfin donné de lui rendre hommage….
C’est une très grande Dame qui nous a quittés le 1er juin dernier à l’âge de 96 ans. Elle faisait partie de ceux qui, aux heures les plus sombres de notre histoire, n’ont jamais courbé l’échine. Ces combattantes et combattants de l’ombre dont le nom n’est connu que de ceux qui les ont côtoyé.
Pour nous qui avons eu l’honneur de la connaître, c’était l’exemple même du courage, de la ténacité et jusqu’au bout elle fut la vaillante présidente de notre « Fraternelle de la Résistance Beauraing-Gedinne ». Tant que sa santé le lui a permis, elle a été de tous les combats, de toutes les commémorations et de tous les voyages en pays de mémoire.
A nous, les descendants de ses compagnons de résistance, ainsi qu’à bien d’autres qui, grâce à elle, sont venus grossir nos rangs, elle a transmis le sens des mots « devoir de mémoire ».
Cependant, qui mieux que notre ami José aurait pu la décrire…
« Ami,
Mesures-tu combien grande est la perte qui nous peine ?
Comprends-tu l’amertume de nos coeurs tous en berne ?
Car vois-tu, c’est une pépite de cristal pur qui aujourd’hui nous quitte pour son enciellement, s’en allant aussitôt se ficher là-haut, dans les prairies d’étoiles où elle brille désormais de son éclat particulier.
Nous avons perdu notre Edith Piaf à nous, à la différence toutefois que si la vraie, la môme avait une prédilection pour le noir, la nôtre, du fait de son prénom, devait quelque peu s’en démarquer.
Elle savait porter beau, elle avait l’élégance, la distinction innées, justes reflets d’une âme trempée. Vous étiez belle, Madame, grande, émouvante et forte ; vous représentiez la Résistance, dans ce qu’elle a de plus élevé, de plus noble, de plus vaste. Votre discours avait le pouvoir de suspendre le temps, aussi bien par la teneur de vos propos, que par la conviction avec laquelle vous les exprimiez.
Une voix ô combien autorisée s’est tue, le verbe ne sera plus jamais aussi convaincant. Car, bon Dieu, quelle énergie dans ce petit bout de femme charpentée de volonté. Quelle détermination, quelle faculté d’indignation, quelle force de persuasion, capable de faire fléchir les plus irréductibles.
Tout cela s’enracine dans une éducation au patriotisme le plus ardent avec, à l’avant-plan, de grandes figures comme Léon Parent, héros Vonêchois ou encore le caporal Trésignies, Gabrielle Petit. Cela se prolonge dans l’engagement personnel, les femmes aussi sont nombreuses à être entrées en résistance. Ça commence par des galettes et des pommes à destination des prisonniers en bord de route au nez et à la barbe des gardes farouches.
La famille Pochet ouvre ses portes aux patriotes et la maison regorge souvent de monde avant d’être un jour cernée par les Allemands ; le papa est fait prisonnier, il mourra en 1945 à Flossenbürg. Entre-temps, le maquis s’organise. Chargée de mission, Blanchette effectue le transport de plis et de renseignements de Vonêche au maquis de Graide. Elle relève les mouvements des trains et de voitures qui transitent par le village. Si, ce n’est pas tout à fait la bicyclette bleue, c’est un peu du pareil au même. Sur la route de Haut-Fays-Gribelle, après le pont du chemin de fer, elle dévale feignant de ne pas obtempérer à un Halt ! énergique, l’expliquant par des freins kaput, ce qui aura l’heur de dérider la vingtaine d’Allemands en embuscade. Du caractère, de l’audace, du tempérament à vous laisser pantois.
Si, comme l’écrit Marguerite Yourcenar, la mort est l’enfantement d’une âme, celle de Blanchette entre aussitôt dans la gloire lumineuse des passeurs de mémoire. Elle retrouve aujourd’hui dans ce cimetière de Vonêche tous ceux pour lesquels tant de fois, elle a fait s’incliner les drapeaux. Dorénavant, ceux-ci frissonneront d’une émotion supplémentaire.
Ami, si d’aventure, tes pas te guident vers le site du camp du Bourlet, sache que tu te trouves dans un haut lieu de mémoire où non seulement souffle l’esprit, mais où est inscrite à jamais une voix, dans l’écorce des arbres, dans le limbe des feuilles, dans les aiguilles des sapins. Fais silence, tends l’oreille et écoute….I faut qu’ça aille ! Vive la Belgique libre et unie !
(Texte écrit et lu par notre ami José Bastin lors de l’enterrement de Blanchette le 7 juin 2017)
Blanchette, nous ne t’oublierons jamais !